Marguerite Duras, des nos premieres lignes de L’Amour, par l’economie des moyens, suggere du regard le plus penetrant, observe ses personnages, leurs mouvements, le paysage dans lequel ils evoluent.
Cette simplicite induit une emotion nourrie du depouillement des etres devant l’absurde, la aussi emotion que l’on ressent en parcourant une poesie sauf qu’ici votre n’est aucun la poesie.
« Jour » : une soudaine lumiere en un seul mot tel votre choc concernant le lecteur qui se laisse porter. On entre aussi dans nouvelle chose. Meme si l’histoire parait banale – mais il va i?tre vrai qu’on avance sans vraiment saisir dans un mystere et un monde nouveaux – Duras menage limite a chaque page des surprises avec ses flashes inattendus. Mais elle en dit plus qu’elle n’en a l’air. Une femme « pale » chaque lecteur degage votre qu’il sent : la maladie, la solitude qui ne semblent pas dites, tel s’il y avait absence de life interieure. Le regard « s’ouvrent douloureusement », plus loin le geste d’une femme est « d’une tendresse desesperee ». Mais que valent ces hypallages par rapport a une poetique qui est ici celle du corps ? Les mots « crient », « devorent », « sang », continuent a faire choc comme le mot « enfant » qui contrastent inhabituellement avec « bonheur ».
Paradoxalement, si elle ne comporte aucune trace de lyrisme, l’ecriture durassienne reste porteuse d’une emotion qui J’ai rend proche en poesie.
L’ecrivaine peint par touches juxtaposees sans adjectifs, sans nuances donc. Elle filme partout ou porte son regard, contemporaine par un art qui, chez elle, se depouille, ne tient via rien, a Notre limite d’un silence qui fait encore miraculeusement musique. Son regard-camera opere page apres page des travellings que nous suivons avec l’obeissance du lecteur qui cherche son emotion en voulant bien comprendre.
« Apres Duras, il est Complique d’exprimer 1 quelconque silence car celle-ci l’a fait sans cesser de nous nourrir. Nous sommes nourris, par exemple, dans L’Amour avec ce cri qui nous a deja marques au sein d’ Moderato Cantabile » (1).
Duras et l’absence
A sa fin du livre l’absence envahit contradictoirement le propos car cette dernii?re concerne bien et tous. La nature a disparu, des parcs aussi, la mer « s’eloigne ». Cela ne reste plus que le vent « violent » et le soleil mais celui-ci fait dormir et c’est une autre forme d’absence encore. Apres qu’ils se paraissent arretes de marcher, de bouger, plus de mouvement bien pour nos personnages pris avec le sommeil, necessite annoncee, des le commencement du livre ou il s’agissait deja de dormir ou de mourir. Plus de clefs pour la salle ou le bal n’a plus lieu. L’absence regne aussi via les interdits puisqu’« on n’a jamais le droit d’ouvrir ». Elle devient s?ur de l’oubli si l’on lit la phrase-clef prononcee avec le voyageur « Je ne sais plus rien » qui rappelle la voix de Rimbaud dans « Matin » criant : « Je ne sais plus parler ».
L’absence envahit jusqu’a l’ecriture ou se repetent sans cesse des locutions negatives. Ainsi le present n’apporte-t-il aucune compensation aux objets et souvenirs disparus. Seul revient le mouvement puisque regard il y a forcement, exactement comme la fonction cree l’organe, un mouvement qui suit la marche, les marees, la lumiere. Bon nombre de autres sens sont actifs car on entend les sirenes, on voit du rouge. Cela est ainsi un sursaut de vie avant la catastrophe. Comme si on sortait du rien, du neant avant la decoloration finale, celle d’la mer et du ciel, qui nous fera revenir a toutes les premieres pages de l’histoire ou la teinte avait deja disparu.
Si les paroles ont ete porteuses de silence, le silence, a lui tout seul, a porte le sens, celui une mort metaphorisee via une telle absence nommee par touches successives. « Comme quand on etait en presence du boulot d’une photographe aux prises avec l’essor de sa pellicule et prisonniere de sa chambre noire » (2).
France Burghelle Rey
(1) Citation de Claude Roy a propos de Moderato Cantabile : « Madame Bovary reecrite via Bela Bartok »
(2) ?uvre au net, 104 et le Nouveau roman : Une ecole du regard, 111